Tibhirine, 20 ans après entretien avec Jean-Marie Lassausse

Tibhirine, 20 ans après entretien avec Jean-Marie Lassausse

Article paru dans ledauphine.com le 8 mars 2016

TÉMOIGNAGE : Vingt ans après, Tibhirine est toujours sous tension

Ingénieur agronome, Jean-Marie Lassausse s’occupe au quotidien du parc arboricole de 8 hectares du monastère, ce qui lui vaut le surnom de jardinier de Tibhirine. Photo Ph. M.
Ingénieur agronome, Jean-Marie Lassausse s’occupe au quotidien du parc arboricole de 8 hectares du monastère, ce qui lui vaut le surnom de jardinier de Tibhirine. Photo Ph. M

 

Responsable du monastère de Tibhirine depuis quinze ans, le prêtre-ouvrier vosgien Jean-Marie Lassausse, placé sous haute surveillance, avoue y vivre sa période la plus difficile. Nous l’avons rencontré en terrain neutre, à Milan.

Depuis décembre, il n’a plus le droit de descendre au village. Et quand il se rend à Alger pour faire les courses – une fois tous les quinze jours – six escortes de six gendarmes se passent le relais sur les 82 km de parcours. « Je mobilise à moi seul 36 gendarmes ! », confie mi-amusé, mi-dépité Jean-Marie Lassausse. L’assistance sourit.

Ce prêtre-ouvrier de la Mission de France, plutôt jovial et au tutoiement facile, est le responsable du monastère de Tibhirine. Jeudi dernier, à Milan, il a donné une conférence devant près de 200 spectateurs captivés. Il était l’hôte du Pimé. Ce centre italien d’activités missionnaires l’invite une à deux fois par an en Lombardie. Une véritable bouffée d’oxygène.

« Je vis presque comme un prisonnier »

« Je vis presque comme un prisonnier. Le dispositif des autorités centrales est lourd. Et la part entre la sécurité et la surveillance est ténue », soupire le religieux.

Vingt ans après l’assassinat trouble de sept moines français, la tension est toujours ultra-vive autour de cet îlot chrétien en terre musulmane. L’assassinat en septembre 2014 du touriste français Hervé Gourdel, attribué à un groupe djihadiste algérien ayant prêté allégeance à Daech, a durci encore plus la donne.

« L’État algérien considère que je suis une cible et craint des infiltrations en provenance de la Libye voisine », lâche avec un naturel désarmant le prêtre. S’il affirme ne jamais s’être senti en danger, il concède « des intimidations ». Il y a deux ans, le soir de la date anniversaire de l’enlèvement des moines, tous les moutons du monastère ont disparu. Sauf deux. Comme les deux moines oubliés du rapt de 1996. « J’ai toujours tenu à calmer le jeu et à me faire oublier », commente sobrement Jean-Marie Lassausse. De la même manière qu’il se soumet sans broncher au carcan sécuritaire imposé : « Ne pas obtempérer, ce serait prendre le risque d’être expulsé. Ne plus avoir de vie sociale me manque. Mais c’est le prix à payer. Je suis là pour montrer que le lieu est habité. En terre d’islam, toute place perdue l’est définitivement. »

Rester à Tibhirine, coûte que coûte. Tel est le credo de l’Église de France en Algérie. Un retrait soulagerait certaines autorités algériennes. Mais ce serait trahir la promesse de rester, prise par les moines quelques mois avant leur enlèvement : « Le dialogue des religions doit avoir le dernier mot. Le choc des civilisations n’est pas acceptable. » Pas question non plus d’abandonner la population locale : « Je n’ai que des amis dans ce village de 750 habitants. Les frères ont tracé un sillon de convivialité dont nous récoltons encore les fruits aujourd’hui. Les locaux savent que nous ne faisons pas de prosélytisme et sont reconnaissants de l’attitude des frères quand le bateau tanguait. »

Pas une journée ne s’écoule sans que leur souvenir ne soit évoqué par des visiteurs algériens. Particulièrement celui de frère Luc, qui assurait jusqu’à 120 consultations par jour. Via l’association des Amis de Tibhirine, le monastère prend à sa charge la cantine de l’école et un atelier de couture pour les jeunes femmes du village : « Les habitants m’ont promis de sacrifier un taureau quand une communauté monastique reviendra ! »

Bientôt une nouvelle communauté

Une quinzaine d’ordres ont été sollicités. Mais l’endroit effraie : « Il est devenu un lieu de pèlerinage à forte vocation agricole. Ces deux aspects font craindre aux communautés contemplatives de perdre leur dimension première. » Une solution pourrait être trouvée avec l’arrivée prochaine d’un éclaireur du Chemin neuf. Cette communauté œcuménique française composée de catholiques, protestants et orthodoxes serait prête à relever le défi. Et Jean-Marie Lassausse à accompagner son implantation…

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4 commentaires

  • Tessier Jean-François 11 mars 2016 à 10 h 54 min

    J’ai bien connu Tibarine entre 67 et 69 où j’étais médecin coopérant militaire près d’Alger avec d’autres étudiants de la Mission Catholique étudiante qui étaient partis comme moi. A cette époque on pouvait librement circuler en Algérie et même bivouaquer la nuit dans la montagne. Il y avait encore le Monastère des Benédictines à Medea et à Robert Fouquez l’ermite de Tamesguida. J’ai fait ma thèse en Algérie sous la direction de Pierre Chaulet. Je suis revenu souvent en Algérie entre 96 et 2006 invité par mes collègues algérien. Je ne suis jamais remonté à Tibarine. Mais comme en d’autres lieux d’Algerie une part de mon coeur y est restée…Je retrouve un peu de Tibarine à Midelt lorsque je vais à Fes chez mes anciens étudiants. J’ai toujours plaisir à accueillir les étudiants algériens qui viennent à Bordeaux.

  • Jacques Hahusseau 28 mars 2016 à 23 h 27 min

    Bonjour Jean Marie… Je viens de lire ton témoignage et récit de ce que tu vis… Du Brésil où je continue ma route, ma prière et fraternelle communion t´accompagnent en ces jours de Pâques qui nous apprennent à aimer jusqu´au bout!… Quelle aventure!..Merci pour ta présence sur ce chemin de Vie…

  • Lundi matin nous n’avons pas eu l’occasion de te rencontrer avant notre départ.
    Je voulais te dire combien nous avons été heureux de vivre un peu dans ton entourage, heureux de parler et partager l’eucharistie avec toi.
    Bernard Albert

  • bonjour Jean Marie 9 mai 2016 à 18 h 05 min

    Heureux de te retrouver toujours fidèle aux habitants de Tibhirine, malgré tous les problèmes de sécurité. C’est sur que pour le village tu es une porte ou une fenêtre ouverte. Tiens bon la rampe en compagnie de Celui qui nous guide et nous précède.Merci de ce témoignage.Philippe Dupont

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