Rupture durable ou développement durable des relations sociales en France

Rupture durable ou développement durable des relations sociales en France

  1. Notre code du travail est la mémoire privilégiée des couches successives des acquis sociaux de notre pays. On peut retenir cinq grandes étapes : le Front populaire avec les congés payés, l’institution des délégués du personnel et la semaine de 40 heures ; puis à la Libération, la création des Comités d’entreprise, la sécurité sociale ; plus tard après mai 68, les accords de Grenelle instituent les sections syndicales et les délégués syndicaux ; et avec l’arrivée de la gauche en 1981, les lois Auroux constituent des avancées majeures pour le droit du travail en France avec la mise en place des conseils des prud’hommes, des CHSCT, des institutions représentatives du personnel, de la liberté des travailleurs dans l’entreprise, les 39h et la 5ème semaine de congés payés. Enfin, entre 1998 et 2000, avec les Lois Aubry se sont mises en place les 35h hebdomadaires, puis la CMU.

 

  1. Après une sorte d’âge d’or où les droits pour les travailleurs, se sont constamment renforcés à partir d’accords ou de politiques gouvernementales, force est de reconnaitre que nous sommes rentrés avec le XXIème siècle dans une période plus complexe où l’Etat met en œuvre des décisions plus ambigües et où des avantages négociés par des syndicats réformistes tels que le dispositif de retraite pour les carrières longues, la couverture prévoyance intégrale, le compte personnel d’activité, ont été contrebalancés par davantage de flexibilité, de prérogatives pour les employeurs en matière de licenciement économique, et de contrat plus précaires de type CDD, interim, et le dernier arrivé, le CDI de chantier…

 

  1. Aujourd’hui trois approches extrêmement clivées sont à l’œuvre dans le monde économique et social :
  • une approche très à droite, venant de patrons pour lesquels le dialogue social est du temps perdu et le syndicalisme nuisible à l’entreprise et partant à l’économie. Cette approche a été relayée durant la campagne présidentielle par François Fillon et est à l’œuvre dans la région ARA à travers Laurent Wauquier ;
  • une approche très à gauche, considérant les inégalités, la situation sociale comme intenable. La réforme du code du travail est qualifiée de « coup d’état social » par Jean-Luc Mélenchon. La CGT et Solidaires se situent dans ce courant. Il importe donc dans la rue de créer le rapport de force afin de récupérer les droits perdus. Une frange de ce courant étant prêt à la violence et à une action de type révolutionnaire ;

=> A noter que ces deux approches se rejoignent sur un point : une grille de lecture marxisante du rapport de force où, de part et d’autre, il faut montrer ses gros bras pour exister. C’est en quelque sorte un continuum des relations sociales du XXème siècle où à un syndicalisme de rupture répond un patronat rétrograde, cynique et borné.

  • La troisième approche fait de la démocratie, du dialogue social et de la négociation la clé de toute réforme du droit du travail; c’est la vision qu’ont la CFDT, la CFTC et une partie de FO. C’est la vision aussi de certains patrons qui ont compris que le dialogue social pouvait avoir pour eux une utilité.

=> A noter que depuis peu, les salariés (dans le privé en tous cas) semblent préférer ce type de posture syndicale, puisque pour la première fois dans l’histoire des relations sociales, la Cfdt est passée devant la Cgt en terme de représentativité.

 

  1. Dans ce contexte, où se situe Macron et son gouvernement ? Habile, il a passé l’été 2017 à mettre en place un dialogue social, laissant entendre qu’il se situait dans la dernière catégorie ; mais sa culture libérale, sa vision de l’entreprise, sa méconnaissance des syndicats le rapprochent en réalité du premier camp.

 

  1. De fait, ces ordonnances et la loi telle que publiée au JO ouvrent trois brèches graves dans les relations sociales. La première, concerne les entreprises de moins de 50 salariés où, (sous certaines conditions à partir de 20 salariés), on peut désormais se passer des syndicats dans les négociations ; la deuxième concerne les entreprises de plus de 50 salariés qui voient la fusion des IRP et la fin du CHSCT : c’est une réelle régression pour la prévention et la protection des salariés ; enfin la troisième concerne les licenciements rendus plus faciles à travers le double dispositif du plafonnement des indemnités de licenciement et du critère d’un licenciement économique (au niveau français et non au niveau européen). Ce sont les trois points majeurs d’opposition à ce projet.

 

  1. Au final, la plupart des syndicats font la même analyse de cette loi qu’ils condamnent, mais n’en tirent pas les mêmes conclusions : certains vont dans la rue ; d’autres non. La divergence de fond concerne le respect ou non de la démocratie.

Mon point de vue  est le suivant : bien que pas d’accord avec cette loi travail, tenter un coup de force dans la rue pour la contrecarrer serait à la fois non respectueux du processus démocratique post-électoral et dangereux. Aller dans la rue, c’est prendre le risque de la violence et surtout une façon de renier la démocratie. Le FN n’attend que cela…

C’est certainement là qu’intervient ma spiritualité chrétienne. Si Jésus a eu des mots très forts contre certains de ses adversaires et s’il a proclamé sur la montagne : « heureux ceux qui ont faim et soif de justice », il a dénié à Judas et aux Zélotes l’opportunité de tenter un soulèvement politique…

Entre la violence potentielle de la rue et la violence réelle de certains patrons exacerbée à travers cette loi,  il y a un espace à investir, à inventer et même à conquérir ! Ni la rue, ni l’inaction et le fatalisme ne résoudront les problèmes. Il faut être imaginatif et créer d’autres leviers d’actions syndicales dans les entreprises, y compris les plus petites, sur le terrain. c’est ce que j’appelle le développement durable des relations sociales par le dialogue social. Ce n’est pas une option, c’est la seule voie possible !

Jean-Philippe Landru*

[*Jean-Philippe Landru est membre de la CMDF dans l’équipe colibris (Isère) ; après un parcours de DRH et de Directeur opérationnel à La Poste, il est devenu depuis 2012 permanent syndical à la CFDT]

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2 commentaires

  • je partage cette analyse.
    Le plus difficile à tenir consiste à trouver de nouvelles formes d’agir de sorte à continuer à réduire les inégalités. Dans ce domaine la confédération européenne des syncicats et ses fédérations professinnelles a encore beaucoup à inventer pour renfocer les initiatives de ses membres dans chaque pays/
    Dans le nouveau dispositif inauguré avec la nouvelle loi travail; il y a une nouveauté qui est sans doute la plus négative. Elle concerne la possibilité pour un groupe multinational de ne considérer que le périmètre national pour apprécier la situation économique d’une entreprise d’un groupe. Nous savons combilen il est facile de mettre en difficulté une entreprise d’un groupe par des artifices financiers afin de justifier des mesures de restructuration, voir de licenciements économiques.
    Cette loi créera des inégalités entre les entreprises d’un groupe avec les conséquences que l’on peut imaginer.

  • Cher tous, tout en étant tout à fait favorable au dialogue social, je ne vois pas en quoi aller manifester pacifiquement dans la rue pour exprimer son désaccord est « une façon de renier la démocratie ». Manifester est un droit fondamental, indispensable à la liberté d’expression, et à la possibilité de revendiquer ses opinions et ses droits. Selon Amnesty International, l’Etat d’urgence et un usage disproportionné de la force ont déjà limité ce droit. Ils nous rappellent : « Manifester est un droit, pas une menace ».

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