Editions
Karthala, Collection Chrétiens en liberté
Année de parution
2006
Auteur
Jacques LECLERC

Une longue marche en Chine avec l’évangile

Prêtre et étranger, vivant en Chine, je m’interroge sur ma façon de vivre la rencontre du frère humain chinois. Je constate que c’est toujours quand j’ai été en situation de vulnérabilité forte, d’incompréhensibilité, de dépendance imprévue de mes hôtes chinois, que j’ai vécu la rencontre. C’est quand je ne savais pas les mots qu’ils sont venus.
J’ai habité Pékin, dans une rue très animée le matin de bonne heure par un marché de frais. Je célébrais l’eucharistie à l’aube avant d’aller travailler. J’ai été troublé par certains moments de la célébration dans lesquels j’impliquais virtuellement des absents.
«…vous mes frères…», «prions ensemble…». Mais où étaient les autres ? J’étais tous les jours tout seul, pendant des années… Que voulait encore dire “ensemble” ? Je décidai donc une réforme liturgique domestique et je supprimai dans les mots toute trace de présence d’une assemblée, même réduite, à la célébration.
Ce que je n’avais par contre pas réussi à supprimer, c’était les voix des marchands de légumes et des clients qui envahissaient ma “chambre-cathédrale” tous les matins dès l’aube ! J’étais mal à l’aise, instinctivement, dans ce contraste : personne à la messe et la foule dans la rue. Entre les deux le seul mur de mon appartement. Très vite, j’ai décidé d’abroger ma réforme liturgique, tellement il me semblait évident qu’il y avait “des frères” et un “ensemble” ! Les absents à la messe m’ont fait grandir dans la foi en me poussant à approfondir ma vie eucharistique.
Le chrétien reçoit de l’autre, des frères humains de Chine dont l’immense majorité n’a jamais entendu le nom de Jésus ni ne sera baptisée du baptême de l’Église, le pain de sa route eucharistique, ce qui le fait vivre. Encore faut-il habiter dans une rue chinoise, et y avoir une certaine faim, la faim de ce que le frère chinois me donne.

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