Je crois

Foi "aventurée", déplacée, risquée, mais aussi ravivée par la différence de l’autre, re-suscitée par les appels entendus et les témoignages imprévisibles… Les membres de la Communauté Mission de France disent ici, tour à tour, leur foi.

Arnaud Favart, est prêtre de la Mission de France. Depuis juin 2012 il en est le vicaire général. Il a été conducteur d’engins de chantier pendant douze ans, a travaillé à mi-temps comme chauffeur de transport scolaire et chargé d’un secteur rural en Creuse. Il a été aumônier Scouts et Guides de France.

Journal d’un curé de Creuse – Bréviaire de route

La nuit est encore sombre, c’est l’heure de Laudes. Dans l’éclairage blafard des lampadaires, je m’avance non vers l’autel mais un autocar. Il est 7 h15, assis sur la stalle du chauffeur, je tourne la clé de contact pour démarrer le car scolaire. L’orgue marche au diesel, et lance les premières notes.

« Dieu tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » (Psaume 62)

Sur la place, je salue en passant les ouvriers de la première heure. Ils attendent le maître pour l’embauche. Je retrouverai le plus âgé tout à l’heure comme porteur aux obsèques. L’autre déchargera les caisses de fruits et de légumes sur le marché. Premier arrêt à Javayat. C’est l’heure de la traite. Un projecteur éclaire la paille humide dans la stabulation. Je fais demi tour dans la cour de ferme, et Florian monte dans le car. En revenant sur la départementale, je croise les camions poubelles descendant à vive allure. La décharge est toute proche, l’odeur est suffocante.

« Tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante » (Ps 22)

Dans la remontée du cimetière de Malleret, je rumine silencieusement les quelques mots qu’il faudra prononcer pour les obsèques de cet après-midi.

« Qui parlera de ton amour dans la tombe, de ta fidélité au royaume des morts. Moi je crie vers toi Seigneur ; dès le matin ma prière te cherche ». (Ps 87)

Les arrêts se succèdent, le car s’anime des conversations des ados. Quatre sont à l’école de foot, trois sont scouts ou fréquentent l’aumônerie. Celle-là est en famille d’accueil, et transmet avec détermination ses habitudes de banlieue. Celui-là ne parle que de cabane dans les bois et de chasse. Pourtant la distance me semble plus grande entre garçons et filles, qu’entre rural et ville.

« Des fils et des filles, voilà ce que donne le Seigneur, des enfants, la récompense qu’il accorde. » (Ps 126)

J’amorce la grande descente du bien nommé Montplaisir. L’aube s’habille de couleurs vives, l’horizon est rouge feu. Les silhouettes noires du Puy de Dôme et du massif du Sancy se détachent au loin dans le ciel.

« Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l’ouvrage de tes mains. » (Ps 18)

Devant l’enceinte du collège, je me gare jusqu’à l’emplacement attribué au milieu des autres cars.
Je retrouve les collègues pour quelques nouvelles brèves.

« Maintenant la route prend fin, devant tes portes Jérusalem. C’est là que montent les tribus du Seigneur. » (Ps 121)

Réunions, écriture, visites, cuisine, rendez-vous, la journée passera vite…
17 h sonnent au clocher de l’église. Toute activité cessante, je revêts la tenue de chauffeur, vêpres va commencer. Le diesel lance ses premières notes, sacs en bandoulière, les collégiens s’engouffrent joyeusement.

« Entrez, inclinez-vous prosternez-vous… il est notre Dieu, le peuple qu’il conduit. » (Ps 94)

Les mains empoignent le volant, l’œil est vigilant sur le rétro, les oreilles recueillent les conversations.

« Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve.
Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie.
» ( Ps 125)

Je traverse le vieux pont dominant les gorges de la Creuse. La pluie incessante du jour en a gonflé le niveau.

« Les ruisseaux de Dieu regorgent d’eau, tu prépares les moissons. » ( Ps 64)

Dans la zone industrielle, les fourgons des artisans regagnent leur dépôt. La journée a livré son secret, et chacun a rendu son travail. D’un geste amical de la main à travers le pare brise nous ne manquons pas de nous saluer au passage. Le bois des Bruyères rend le trajet plus obscur. La nuit tombe, de nombreux chevreuils surgissent au-dessus des haies.

« Comme une biche assoiffée cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche. » (Ps 41)

Derniers lacets, derniers enfants de la tournée, je dépose les jumeaux, jeunes et ardents footballeurs. Avant de descendre, je remplis le disque du tachygraphe et rédige le rapport journalier.

« Enseigne-moi ton chemin Seigneur, conduis-moi par des routes sûres.
J’irai célébrer dans sa tente le sacrifice d’ovation.
» (Ps 26)

Je rejoins la maison des sœurs pour l’eucharistie du soir.

Arnaud Favart. Brèves de l’année 2007