Choisir un mode de vie différent-Entretien pour le dossier « Quand il est temps de prendre le large » du magazine Parole(s) n°23

Choisir un mode de vie différent-Entretien pour le dossier « Quand il est temps de prendre le large » du magazine Parole(s) n°23

Entretien pour le dossier « Quand il est temps de prendre le large » du magazine Parole(s) n°23

Loïc et Élise ont tous deux 25 et 27 ans. Ils habitent ensemble dans une ferme de l’Isère au Grand-Lemps, à 40 km de Grenoble. Ils ont choisi d’y mener une vie simple et centrée sur l’essentiel, en marge de la société. Un mode de vie décalé et engagé qu’ils assument pleinement. 

 

Avez-vous déjà pris le large ?

Élise : Nous avons, chacun de notre côté, fait plusieurs voyages. Nous revenons récemment d’un voyage ensemble de dix mois en Colombie. Nous aimons la rencontre avec les autres cultures et le principe de partir à l’aventure. Nous aimons porter notre sac à dos et pouvoir être autonomes, en partant parfois quelques semaines en pleine nature. Ça nous permet de nous débrouiller et de vivre de peu. C’est un vrai sentiment de liberté.

Chaque voyage nous enrichit et on revient un peu différent à chaque fois. Lors de nos deux longs voyages de dix mois nous avons fait du volontariat. Pendant le premier, Loïc a fait de la bio-construction. Et pendant le second, nous avons fait un volontariat de trois mois dans la jungle avec une formation en permaculture et entretien de la forêt. Ce que nous avons appris, nous le mettons aujourd’hui en pratique, en France.

 

Que signifie pour vous « prendre le large » ?

Élise : Il y a de nombreuses façons de prendre le large. Ce n’est pas forcément voyager, mais aussi tracer sa propre voie, s’affranchir de ce que l’on attend de nous. Par exemple : le fait de vivre déconnectés, faire notre nourriture grâce à la permaculture, remettre en cause le principe du travail toute sa vie et à tout prix. Pour nous, la société de consommation est à l’origine de beaucoup de maux de notre société. Cela influe sur le mode de vie des gens et sur la nature. Nous souhaitons sortir de ce schéma pour un équilibre plus sain.

La génération de nos parents s’est habituée à vivre la consommation à tout crin car ils ont grandi avec. Mais aujourd’hui, quand on analyse, on constate que ce rythme de consommation est insoutenable et néfaste, compte tenu des ressources dont nous disposons. Notre génération doit chercher de nouvelles solutions et sortir des sentiers battus. Prendre le large conduit à se dépasser soi-même et à croire que c’est possible.

 

Dans cet esprit, vous avez décidé d’habiter dans une ferme en Isère. En quoi consiste votre projet ?

Loïc : Nous habitons à Grand-Lemps dans la vieille maison familiale. Élise travaille comme travailleur social avec des demandeurs d’asile et peut s’investir à plus petite échelle. Quant à moi, c’est une opportunité de démarrer un projet de permaculture au long cours et de s’implanter ici.

Nous voulons vivre plus simplement et retrouver un rapport à la terre, à la nature. C’est également un moyen d’être proches de nos familles et de passer du temps avec elles. Nous voulions aussi avoir un espace pour pouvoir accueillir les amis et les gens qui le souhaitent. La permaculture est une façon de prendre de la distance par rapport à la société. Ce n’est pas qu’un style de vie. C’est aussi un moyen concret d’économiser les ressources, optimiser les dépenses. Quand nous étions en Amérique du Sud, les gens vivaient très simplement par comparaison avec nous, en faisant totalement autrement. C’est ce que nous voulons faire ici.

 

Comment conciliez-vous votre désir d’indépendance et d’autonomie avec la satisfaction de vos besoins ?

Loïc : D’abord, nous essayons d’avoir un minimum de besoins. Notre rapport à la nature nous permet de baisser nos dépenses. Grâce au potager, aux poules et à la récupération, nous faisons beaucoup d’économies.

Ce n’est pas l’argent qui dicte nos projets. D’abord, nous choisissons nos projets, puis nous faisons ensuite avec l’argent que nous avons. Bien sûr, nous avons aussi des dépenses. Mais chaque dépense, de même que chaque heure de travail, est un investissement pour moins dépenser ultérieurement. Je n’exclus pas de reprendre le travail si nécessaire pour justement faire des investissements, mais ce sera un temps donné de ma vie, quand je l’aurai choisi. Ce mode de vie nous donne une très grande liberté.

 

Ce projet de vie comporte-t-il une dimension militante ?

Élise : C’est d’abord un choix que nous avons fait pour nous, par envie. Mais, bien sûr, nous sommes heureux de partager ce que nous vivons et de diffuser nos idées. Nous essayons de sensibiliser les autres à être plus proches de la nature : manger local, acheter de meilleure qualité. Parmi nos amis, beaucoup de personnes sont très intéressées et sensibles à ce que nous faisons. Certains viennent apprendre à faire des confitures, du fromage, faire pousser les champignons, cultiver le kéfir. Plein de petites choses qui, mises bout à bout, donnent du sens. Les discussions nous permettent d’échanger et de transmettre nos connaissances en permaculture. Nous remarquons que les personnes se sensibilisent à notre manière de voir les choses et que chacun prend ce qui lui plaît pour le reproduire chez lui ! On partage les œufs avec nos voisins, nos parents. C’est aussi une façon de faire adhérer les gens à nos modes de vie… J’essaye de faire les semis pour les partager et répandre les graines qui pourront être réutilisées, c’est notre façon d’être militants ! Nos parents sont surpris de voir ce qu’on peut faire sans argent. Bien entendu, on aimerait que les proches passent eux aussi à l’acte pour changer eux aussi la société, mais cela peut prendre du temps.

 

Quel est votre regard sur l’avenir de notre planète ? Avez-vous l’intention d’avoir des enfants ?

Loïc : Je suis optimiste sur mes projets mais plutôt pessimiste pour la planète. Avoir des enfants ne nous intéresse pas pour le moment. L’autre jour, un documentaire affirmait que si le monde continue à avoir recours à l’agriculture intensive, dans 60 ans nous n’aurions plus de terres arables. Aujourd’hui, nous avons déjà détruit la moitié des terres cultivées sur terre. Le fait de labourer profondément tue la terre car cela déstructure tous les micro-organismes, les galeries. Pour l’heure, nous avons besoin de vérifier qu’on puisse faire autrement, qu’il y a bien une alternative. La question des enfants arrivera après.

 

Certains pensent que prendre le large c’est fuir ses responsabilités…

Loïc : Ce sont peut-être des gens qui justement n’ont jamais pris vraiment le large et n’ont pas suffisamment de recul pour se dire que d’autres choses sont possibles. Quelle est notre responsabilité aujourd’hui ? C’est d’avoir une belle maison, une belle voiture, une belle paye ou bien est-ce prendre soin – aujourd’hui – de l’avenir de notre planète ?

Entretien réalisé par Jean-Philippe Landru

 

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2 commentaires

  • Bravo pour votre dynamisme et votre regard sur le monde.
    Faites des adeptes et pas seulement des folklores
    Que votre art de vivre soit plus contagieux que le delta virus et le monde reprendra des couleurs

  • Je suis admirative et fière de ce que tu es devenue Élise, du chemin que tu as pris. Heureuse vie à vous deux.

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