« Choisis la vie ! »

« Choisis la vie ! »

Choisis la vie !
Echos d’un voyage en Palestine-Israël : une terre en attente de paix

Du 18 au 27 novembre j’ai sillonné la Palestine, dans le cadre d’un voyage organisé par l’hebdomadaire La Vie, à la rencontre d’acteurs de la paix : tous nous ont dit : racontez ce qui se passe ici, ne nous laissez pas seuls, l’opinion publique internationale est notre dernière planche de salut ! Ce texte tente humblement de répondre à ce cri … on dit que les petits ruisseaux font les grandes rivières….

Vendredi 23 novembre – Camp de réfugiés Al Rowwad, à Bethléem, créé en 1948.
6400 réfugiés – dont 66% ont moins de 18 ans – vivent sur un terrain de 4 hectares. L’un d’entre eux, né dans ce camp, qui a réussi à en sortir pour faire des études en France, a décidé d’y revenir pour fonder en 1996 un centre culturel appelé « Belle résistance ». Une démarche non-violente pour inviter les jeunes à vivre pour la Palestine, plutôt que de mourir pour la Palestine. Par le théâtre, la danse, la musique, des tournées organisées dans le monde, des enfants sortent de l’enfermement, découvrent « un monde libre, normal ». L’initiative a reçu un prix international d’entreprenariat social.
« On ne peut pas se permettre le luxe du désespoir… toute résistance est légitime, armée ou non armée ; notre but est de donner de l’espoir aux enfants en leur permettant de créer leur avenir ; ce n’est pas un projet, c’est une mission de vie ! »

Tout au long de notre périple nous avons rencontré un peuple palestinien sans avenir – du point de vue politique – au milieu duquel surgissent encore des résistants qui « choisissent la vie », soutenus, de l’autre côté du mur de séparation, par quelques citoyens juifs israéliens solidaires.

Un peuple en voie d’anéantissement ? un Etat sans avenir ?
L’Etat palestinien paraît sans avenir, tant l’Etat d’Israël fait régner sa toute puissance sur tous les territoires, y compris ceux qui devaient être entièrement sous contrôle de l’Autorité palestinienne selon les accords d’Oslo : des colonies se sont installées partout, construites par l’Etat israélien qui attire des juifs de la diaspora en leur proposant d’acquérir un logement résidentiel à très faible taux d’intérêt, de ne payer que très peu d’impôts, et de vivre sur un territoire sécurisé. Pour assurer cette « sécurité » un véritable apartheid s’est mis en place : les colons ont leurs bus blindés, routes, tunnels, réservés …. A l’entrée des quartiers contrôlés encore par la police palestinienne de grands panneaux rouges sont installés à l’attention des colons : Attention, danger !
« Nous sommes dans une impasse totale : Israël contrôle tout, notamment l’eau ; les juifs d’Israël ne savent pas ce qui se passent de l’autre côté du mur de séparation ; des palestiniens reprochent à Arafat d’avoir reconnu l’Etat d’Israël et de lui avoir cédé 78% des terres en signant les accords d’Oslo. En rentrant en France : ne parlez pas du conflit israélo-palestinien, montrez seulement cette photo : une jeune fille qui part à l’école avec son échelle sur le dos pour franchir le mur. » Dr Shadad Elati – Ancien ministre de l’Eau, représentant l’Autorité palestinienne.
L’ancienne maire de Bethléem, Véra Baboun, aujourd’hui membre du Conseil National Palestinien, est tout aussi désespérée sur le plan politique, avec une double crainte : que les palestiniens « intériorisent le mur » et l’acceptent comme un fait, et que la culture chrétienne disparaisse de Palestine, et, avec elle, le message chrétien. « Bethléem, ce n’est pas seulement une ville, c’est un message d’amour et de paix ». Mais elle ne peut se résoudre à l’anéantissement de l’Etat palestinien et de son peuple : « Le monde a reconnu l’Etat d’Israël en 1948, il est temps qu’il reconnaisse l’Etat palestinien. Je me bats comme palestinienne, femme et chrétienne, pas pour moi et mes enfants, mais pour le monde. La paix produit la sécurité, mais la sécurité ne produit pas la paix. »
Seul le responsable du centre culturel d’Hébron, ancien ministre de l’Autorité palestinienne, conserve l’espoir, envers et contre tout. Il s’est marié avec une française avec qui il est revenu vivre à Hébron en 1977 ; celle-ci doit revenir tous les 3 mois en France pour demander un nouveau visa touristique. Hébron, ville cul-de-sac, est « un concentré des problèmes générés par l’occupation ». Néanmoins c’est une ville universitaire et commerciale ; des partenariats se nouent entre des investisseurs israéliens et des hommes d’affaires palestiniens car la main d’œuvre n’y est pas chère, ce qui permet d’assurer l’éducation et les soins. Le centre culturel développe un tourisme alternatif et propose une ludothèque, bibliothèque, du soutien scolaire.
« Ils ne peuvent pas écraser complètement le peuple palestinien, nous finirons par avoir un Etat indépendant, il faut continuer à parler avec la société civile israélienne et susciter l’opinion publique internationale ».
La loi de juin 2018 qui fait de l’Etat d’Israël un « Etat pour les juifs » suscite des craintes supplémentaires : s’agit-il seulement d’une « loi raciste qui entérine la situation actuelle » ? ou présage-t-elle un apartheid encore plus fort, où les citoyens israéliens non-juifs verraient leurs droits – déjà inférieurs à ceux des citoyens juifs – encore plus spoliés ?
Les paroles de Golda Meir, rapportées par nos interlocuteurs, résonnent désagréablement dans nos oreilles : « des palestiniens s’en vont, ceux qui restent perdront leur histoire, les jeunes ne sauront plus qu’ils sont palestiniens » : ce funeste « destin » du peuple palestinien est-il en train de s’écrire sous nos yeux ?

Quelques résistants non-violents
Violette Khoury (Association SABEEL à Nazareth) : pharmacienne retraitée, elle se définit comme « arabe, palestinienne, chrétienne et citoyenne israélienne », ce qui en dit long sur la complexité identitaire que vivent les nazaréens d’aujourd’hui. Elle a créé un centre d’artisanat pour maintenir des liens entre musulmans et chrétiens, percevant la tentative des juifs israéliens de monter les communautés les unes contre les autres. « La majorité des juifs israéliens ne croit pas en Dieu, mais ils croient que Dieu leur a promis cette terre ». Ayant fait ses études de pharmacie à Rome elle a découvert en Italie que la paix pouvait exister, que la liberté est un don de Dieu. Elle a créé aussi un site internet où elle diffuse chaque jeudi à 12h30 une prière à relayer dans le monde entier. Cette action s’inspire d’une théologie de la libération palestinienne inspirée par Saint Jean : « vous aurez la vie en abondance, rendez témoignage à la vérité, ne soyez pas des esclaves ».
« Il n’y a plus aucun espoir d’un point de vue politique, les juifs « ouverts » sont partis pour la plupart, ceux qui viennent de la diaspora ne sont pas attachés à Israël, les palestiniens qui ont émigré ont construit leur vie ailleurs …. Ce qu’il nous reste c’est la prière, parce que nous croyons en la résurrection, nous croyons que Jésus a multiplié les pains. Priez pour nous ! »

La « tente des nations » : une ferme datant de l’empire ottoman qui résiste à l’occupation par l’action non-violente, sur la dernière colline qui n’est pas colonisée au sud-est de Bethléem. Le descendant de la famille Nassar témoigne : « L’Etat israélien a essayé par tous les moyens de récupérer nos terres, d’abord en contestant notre droit de propriété, puis par des actes d’intimidation (intervention des bulldozers au petit matin pour arracher nos oliviers), ensuite par une proposition de chèque en blanc si nous acceptions de partir, et enfin par le blocus (fermeture de la route d’accès, eau et électricité coupées). Nous avons choisi la résistance non-violente : ne pas se résigner en se considérant comme victime, refuser la haine car tout homme est une créature de Dieu, être créatif, transformer l’énergie négative en énergie positive : poser des panneaux solaires pour avoir quand même l’électricité, creuser des puits pour avoir quand même de l’eau, planter des oliviers (il est proposé à chaque visiteur de sponsoriser la plantation d’un olivier), animer des camps d’enfants chrétiens et musulmans pour une éducation à la non-violence, des ateliers pour la formation des femmes, une centre d’éducation à l’environnement, l’accueil de jeunes volontaires étrangers …. Chaque année 9000 étrangers nous rendent visite, depuis les attaques contre la ferme ont cessé. Notre moteur c’est la foi, l’amour ».

Daniela Yoel (Association Machsom Watch) : née en 1943 à Tel Aviv elle est issue de l’immigration polonaise, sa famille ayant été décimée à Treblinka. Inlassablement, avec d’autres grands-mères juives israéliennes, elle se rend le matin aux check-points pour surveiller, constater, témoigner, faire un rapport aux autorités et à la presse, mais aussi rencontrer les palestiniens et les considérer comme des partenaires pacifiques, parce que c’est une question de dignité : « Tout ce que fait le gouvernement israélien est fait en mon nom, j’ai honte. » Elle dénonce le lavage de cerveau qui est opéré dans l’éducation des jeunes israéliens, ce qui explique que les opposantes au gouvernement sont principalement de « vieilles dames ».
Comment en est-on arrivé là ? « C’est sans doute l’effet de répétition, souvent les femmes battues battent à leur tour leurs enfants, le peuple juif qui a souffert fait souffrir à son tour un autre peuple ; il y a aussi des enjeux économiques (150 000 familles israëliennes, colons, profitent de la guerre) ; les israéliens ne savent pas ce qui se passe derrière les murs, pour la plupart, et ils ne veulent pas savoir ».
En référence à Hannah Arendt elle relativise la notion de peuple : « on ne peut pas aimer un peuple tout entier » ; les 1400 justes français n’avaient pas d’autre point commun entre eux que d’avoir sauvé des juifs.
Quelle issue ? ». Elle ne se fait aucune illusion sur l’efficacité politique de son action, elle ne vise qu’à atténuer la souffrance des palestiniens, au nom de sa foi et du judaïsme originel, mettant en œuvre le mythe de Sisyphe : toujours remonter la pente, même si ça ne change rien…. « Sisyphe était heureux » !
Son dernier message : « en rentrant en France dites au Président Macron de faire pression sur Nethanyaou pour sauver l’Etat d’Israël de lui-même ».

Frère Olivier (moine bénédictin à Abu Gosh)
La communauté composée de 8 moines poursuit la mission que lui a confiée à l’origine le Père Gramont : une présence cordiale dans un village arabe palestinien, qui puise aux sources du christianisme et dans le mystère d’Israël. Inlassablement la communauté cherche à construire des ponts : des équipes de foot composées de juifs et d’arabes qui viennent jouer avec des équipes de Seine-Saint-Denis, l’accueil de militaires israéliens pendant leur temps de formation, l’accueil de chrétiens de multiples traditions et confessions, en fidélité à la règle d’hospitalité de Saint Benoît.

« Nous n’avons pas le droit de désespérer même quand la situation politique est dans l’impasse, et pas le droit de baisser les bras, car Dieu parle au cœur de chacun : tout est possible ! Priez pour nous ! »

Mardi 27 novembre 2018 : nous rentrons en France, aucun membre du groupe n’en revient indemne… je me rappelle les dernières paroles de notre guide, arabe palestinien et chrétien de rite grec melchite, mariée à une chrétienne arménienne : « Ne nous oubliez pas, ne nous laissez pas tout seul ici, dites que l’on peut venir en Palestine, que les chrétiens doivent venir découvrir ici leurs racines, leur 5°évangile ! »

Juste un dernier mot, tiré de la Bible (Livre du Deutéronome, chapitre 30) : « Vois, je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur…. Choisis donc la vie pour que toi et ta postérité vous viviez ».

Martine COOL
Le 8 décembre 2018 au Bourget
Jour de béatification des martyres d’Algérie à Oran

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