Des nouvelles de Casablanca- Arnaud de Boissieu

Des nouvelles de Casablanca- Arnaud de Boissieu

Amies, amis ;

Hamdullilah ! Tout change, tout évolue, et la grande attente a pris enfin fin : depuis la mi-octobre, tout semble redevenu normal, c’est-à-dire que j’ai de nouveau accès au port de Casablanca, et aux bateaux, et aux marins. Vous pouvez imaginer ma joie de les retrouver après deux ans et demi d’interruption, et aussi mon appréhension, en remontant aux échelles de coupée : comment serai-je reçu ? Vais-je retrouver quelques anciens amis ? Ma joie est grande, car les réponses à ces deux questions sont largement positives : oubliée, la pandémie, je suis facilement reçu à bord, sans crainte ni appréhension ; et je retrouve nombre de marins connus : « Father, tu es de retour ! », « Father, tu as toujours les news sur ta clé USB ? » ; effacées, oubliées, les sombres années de pandémie ! Profitons, profitons. Reprenons la vie d’avant. Bien sûr, il reste quelques pays au monde où certaines restrictions restent en vigueur, mais ils sont minoritaires. La vie des marins reprend un cours presque normal.

Je retrouve donc l’habituelle incertitude qui me prend au cœur en montant aux échelles de coupée : comment vais-je être accueilli en haut ? Une petite appréhension qui s’évanouit aux premiers sourires des marins rencontrés.

Voici un changement positif dans la vie des marins : depuis 2013, tous les marins du monde sont régis par une convention collective mise en place par l’Organisation Internationale du Travail, avec la collaboration des états et des représentants des marins (La MLC 2006, pour les connaisseurs), un accord mondial peu ordinaire dans notre monde. Une recommandation a été ajoutée cette année à la convention collective, demandant aux armateurs de faciliter l’accès à internet pour les marins à bord. La plupart des compagnies se sont pliées à cette recommandation, en donnant aux marins un accès internet par satellite, souvent payant et cher, mais enfin, existant. Pour les marins, la mer ressemble un peu moins à une île isolée… Apprécions ce progrès, nous les habitués de la connexion terrestre omniprésente et illimitée.

Il y a une dizaine d’années, dans une conférence mondiale des organisations d’accueil des marins, un ami d’Afrique du Sud, visiteur de marins lui aussi, nous avait longuement fait part de sa méditation : non, il ne montait pas à bord des navires pour apporter Dieu aux marins, mais au contraire pour Le trouver, là haut, aux échelles de coupée, au cœur du grand business des navires, puisque Dieu nous précède toujours, c’est bien connu. Disons-le tout net : je ne rencontre pas Dieu au port de Casablanca ; mais enfin, peut-être ce qui pourrait ressembler à Son image… Écoutez ceci : j’avais une autre interrogation en reprenant les visites aux marins, puisque beaucoup d’entre eux sont Russes et Ukrainiens. Je les rencontrais autrefois travaillant ensemble sur les mêmes bateaux. Qu’allais-je trouver, dans le contexte international que nous savons ? Et bien je trouve toujours autant de marins russes et de marins ukrainiens travaillant toujours ensemble, toujours attelés à la même tâche, sur les mêmes bateaux, pour ainsi dire la main dans la main. Et je ne les trouve pas une fois ou l’autre seulement ; non non, presque tous les jours, je rencontre des marins de ces deux pays qui travaillent ensemble. Presque tous les jours…

Voici un petit bateau : huit hommes seulement ; quatre sont russes, quatre sont ukrainiens ; l’officier qui me reçoit me présente son collègue, à deux pas de lui et me dit sobrement : « Tu vois, je suis Russe ; lui, il est Ukrainien ; on ne fait pas de politique ; on travaille. » Et le marin ukrainien esquisse un léger sourire. Je n’en saurai pas plus, mais le faudrait-il ? Image d’un Dieu possible aperçue à une coupée dans le port de Casablanca… Cette image, je suis humblement fier d’en être un simple et presque quotidien témoin.

J’ai célébré Noël à la grande prison de Casablanca : une grande vingtaine de prisonniers, presque tous subsahariens, francophones et anglophones, tout heureux de ce temps de prière, même si on croit deviner qu’ils ne sont pas des piliers d’église dans la vie civile… On pourrait tenter un parallèle entre les prisonniers des murs et ceux qui sont prisonniers des bateaux. Bien sûrs les marins ont choisi ce travail, contrairement aux prisonniers des murs ; mais ils ont en commun de vivre de longues périodes loin de leurs familles, et nous sommes souvent leur seule visite. Hélas, il m’est difficile de continuer régulièrement les visites en prison quand je vais tous les jours au port.

J’ai déménagé ! Je suis toujours à Casablanca, mais depuis avril, j’habite dans une splendide maison appelée « l’aumônerie », toute proche du lycée Lyautey, avec Christophe, lui aussi prêtre de la Mission de France, qui a rejoint le Maroc en février dernier. Il est essentiellement directeur des études à l’institut de théologie Al Mowafaqa à Rabat, fondé à part égale il y a 10 ans par l’église protestante et l’église catholique. Mais je reste proche de la grande paroisse Notre Dame de Lourdes de Casablanca, où je continue à prendre une petite part aux activités pastorales, sous la conduite d’André, notre nouveau curé, qui vient du Cameroun.

Parlons foot : les lions ont gagné, bravo ! Je parle évidement des « Lions de l’Atlas », l’équipe nationale marocaine (Oui oui, ils ont gagné le cœur de beaucoup), qui a su s’inviter brillamment dans la cour des grands, à Doha, et je lis cette pacifique intrusion comme une parabole : les petits savent quelquefois se faire entendre, respecter et admirer, même des plus imposants.

Notre maison est belle, et grande ! N’hésitez pas à nous rendre visite ! Je vous souhaite une prometteuse année 2023, malgré tout.

 

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