« Je ne savais pas que j’avais besoin de nos différences »

« Je ne savais pas que j’avais besoin de nos différences »

Texte publié dans le n° 560 des Cahiers de l’Atelier, avril 2019, Chrétiens et musulmans : quel dialogue aujourd’hui ?

« Je ne savais pas que j’avais besoin de nos différences »

J’exerce la profession d’orthophoniste auprès de personnes présentant une maladie neurologique. De ces maladies encore appelées neurodégénératives que la science, à ce jour, ne sait pas guérir.

En 2008, j’ai rencontré un patient hospitalisé pour un bilan qui a rapidement révélé une maladie qui lui ôterait la vie en quelques semaines. J’ai été prise aux entrailles par les propos de cet homme, musulman, qui me disait que seul Dieu allait le guérir, par sa confiance et aussi par ce que je considérais comme un risque qu’il soit déçu. Car pour moi, Dieu sauve mais ne guérit pas toujours. Quel geste, quelle parole pouvais-je oser, moi, agent du service public avec ma blouse blanche ? Mes compétences professionnelles ne m’enseignent pas comment honorer cette dimension fondamentale d’un authentique chercheur de Dieu. Je m’en suis ouverte à un ami prêtre très engagé dans la rencontre avec des musulmans et il m’a aussitôt donné les coordonnées d’un aumônier musulman qu’il connaissait bien. Avec l’accord des médecins et du patient, je l’ai appelé un matin et l’après-midi même il avait traversé tout Paris pour être auprès du patient, au nom de l’amitié qu’il éprouvait pour cet ami prêtre. Alors que je voulais m’éclipser, l’ayant conduit jusque devant la chambre du patient, il a insisté pour que j’entre avec lui et m’a présenté comme… sa sœur. La poignée de mains que j’ai échangée avec le patient et sa famille cet après-midi-là était bien plus habitée que certaines « Paix du Christ » le dimanche à la messe. Nous vivions une « Visitation », nos fois se répondaient ; Dieu nous avait donné rendez-vous. C’était les mêmes gestes que le matin, les mêmes mots et pourtant tout avait changé, nos cœurs étaient tout brûlants, le mien peut-être comme ceux des pèlerins d’Emmaüs.

DIEU NOUS AVAIT DONNÉ RENDEZ-VOUS

Cet aumônier a su trouver les mots dont le patient avait besoin pour réajuster la relation à Dieu et ainsi l’accompagner à cheminer vers la mort avec plus de sérénité. Il se trouve qu’il était également co-président d’une association d’amitié islamo-chrétienne. C’est ainsi que j’ai commencé à fréquenter des ateliers de partage d’itinéraires spirituels et de chants. Quelle aventure ! Les personnes que je rencontrais, des musulmans et des chrétiens, participaient à ces temps de partage parce qu’ils se reconnaissaient croyants sans pour autant se résumer à cette dimension. L’entre-connaissance avançait et l’amitié, en confiance, naissait.

En plus de l’amitié, j’ai souhaité travailler ma connaissance de l’islam et des musulmans. « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (psaume 84).

Puis, j’ai été invitée à m’investir davantage dans la gouvernance de cette association et à participer à des actions solidaires où chrétiens et musulmans, ensemble, préparaient puis distribuaient des paniers-repas, tout en étant attentifs à l’accueil et au ressourcement par des temps de prière partagés. « Des priants parmi d’autres priants » (Christian de Chergé).

Dix ans plus tard, ayant témoigné ensemble de nos itinéraires spirituels respectifs, ayant traversé ensemble la suspicion et les épreuves des critiques intra-communautaires, le Souffle de Vérité me soutient pour dire : « Avec vous, amis musulmans, je continue le chemin, vous m’aidez à travailler ma relation au Christ. Dieu vous a mis sur mon chemin, ou bien Il m’a mis sur le vôtre… pour me mener à Lui. Je ne savais pas que j’avais besoin de nos différences, de nos rencontres pour continuer mon chemin vers Lui. Avec vous, je m’ancre dans la religion chrétienne, »

De fait, je continue à actualiser, à interroger ma foi… Qui est le Christ pour moi ? Et je travaille toujours l’ajustement en me nourrissant des textes saints, de la prière, de mon engagement citoyen… et de toutes les rencontres si précieuses, qui, en aidant à relire et à relier le passé, font avancer dans Sa joie.

Valérie Landolfini est orthophoniste dans un hôpital public parisien. Cette soignante raconte une rencontre qui, dans le cadre de son travail, a bouleversé sa vie personnelle et spirituelle.

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