Les plus pauvres, premiers touchés par le changement climatique

Les plus pauvres, premiers touchés par le changement climatique

Marie-Aleth Grard est vice-présidente du mouvement ATD Quart Monde.

Les plus pauvres, premiers touchés par le changement climatique

« Nous savons récupérer, recycler, faire durer la vie des objets. Nous savons cuisiner les restes, refaire du neuf avec du vieux. Nous glanons, nous récupérons les invendus dans les poubelles ou en fin de marché, rien ne se perd. » (Militants Quart Monde)

 

Comprendre les dimensions de la pauvreté

ATD Quart Monde, le Secours Catholique ‒ Caritas France, l’Association des centres socio-culturels des Trois cités, à Poitiers, et une enseignante-chercheuse de l’Institut catholique de Paris ont mené durant trois ans avec l’Université d’Oxford une recherche intitulée «Comprendre les dimensions de la pauvreté en croisant les savoirs « Tout est lié, rien n’est figé » ». Cette recherche a été menée également au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, au Bangladesh, en Tanzanie et en Bolivie. Elle a permis de mettre en lumière neuf dimensions communes à ces six pays permettant de définir la pauvreté.

« Beaucoup de rapports ont été faits sur la pauvreté, mais c’est la première fois que les premiers concernés participent à une recherche scientifique comme chercheurs à égalité. La participation n’est pas magique, il faut du temps, de la confiance et une méthode solide. Nous avons réussi parce que chacun de nous a reconnu le savoir de l’autre. »

Cette recherche a été menée en croisant le savoir du vécu de personnes ayant l’expérience de la pauvreté, le savoir d’action de professionnels praticiens et le savoir académique de chercheurs universitaires. L’équipe était composée de douze membres, quatre personnes pour chaque source de savoirs. Ainsi « la parole des personnes qui ont l’expérience de la pauvreté n’a pas été considérée comme une ressource, une donnée, mais elle a été sollicitée en tant que source de savoirs ».

Deux expériences et huit dimensions

La recherche a identifié deux expériences transversales qui caractérisent la pauvreté : la dépendance et le combat. « La dépendance, c’est de ne pas pouvoir faire seul ce qu’on aurait envie de faire ou besoin de faire soi-même.

On n’est pas libre, on n’est pas autonome, on est bloqué. » « On se bat pour les droits, pour que les droits soient respectés. On se bat pour trouver où dormir le soir quand on est dans la rue. On se bat pour les enfants, pour qu’ils vivent comme tous les enfants, pour qu’ils aient ce qu’il faut. On se bat contre les souffrances et les peurs provoquées par les privations, par le regard négatif de la société, par la maltraitance des institutions », ont témoigné les membres de l’équipe de recherche.

Huit dimensions de la pauvreté ont également été dégagées, en partant de la vie des personnes qui en souffrent : « Privations matérielles et de droits », « Peurs et souffrances », « Dégradation de la santé physique et mentale », « Maltraitance sociale », « Maltraitance institutionnelle », « Isolement », « Contraintes de temps et d’espace » et « Compétences acquises et non reconnues (issues de l’expérience de la pauvreté) ». Chaque dimension dépend des autres et à la fois chaque dimension a un impact sur les autres.

Pour ATD Quart Monde, la lutte pour l’avenir de la planète et celle contre la grande pauvreté vont ensemble. Elles ne se gagneront qu’avec les personnes concernées, pour construire un monde durable et juste, garantissant des conditions de vie dignes pour tous.

Loin des idées préconçues sur la grande pauvreté, bon nombre de personnes vivant dans des situations très précaires sont tout aussi inquiètes que les autres face à l’urgence climatique. D’autant que l’urgence du changement climatique n’est pas qu’une expression pour les personnes qui vivent dans des situations de grande pauvreté, c’est pour elles une réalité quotidienne.

Les plus pauvres, premiers touchés

Les territoires d’Outre-mer, premiers touchés par des phénomènes climatiques comme les tempêtes, les ouragans, les pluies diluviennes, ne sont pas les seuls à subir les impacts du changement climatique. En France métropolitaine, les problèmes d’asthme des populations qui n’ont pas les moyens de se soigner en sont un exemple parmi d’autres. Elles sont souvent les plus proches des poches de pollution. Ce sont ces populations vivant dans des situations de grande pauvreté et dans des logements très mal isolés qui sont aussi touchées par le froid soudain et les périodes de canicules interminables. Dans ces passoires énergétiques, nombreux sont ceux qui cherchent à faire des économies sur des factures qu’ils ne peuvent pas payer. Les conséquences sur la santé sont graves : problèmes respiratoires, asthme croissant, etc.

Des politiques et des mesures qui laissent les plus pauvres de côté

Si elles sont les premières touchées par le changement climatique, les personnes les plus pauvres le sont aussi par les mesures prises pour lutter contre ce réchauffement. La construction du Grand Paris est un exemple criant de la non-association des personnes les plus pauvres à l’élaboration du projet.

L’arrivée du métro dans un certain nombre de banlieues s’accompagne d’une rénovation du quartier, des bâtiments, des logements, qui de fait entraîne une augmentation des prix des loyers et un rejet des habitants pauvres dans une périphérie éloignée. De même à la Nouvelle-Orléans, la reconstruction de la ville, après le cyclone Katrina en 2005, a expulsé les plus pauvres en dehors de la ville. La taxe carbone proposée dans le cadre de la transition écologique est une autre illustration de mesures réfléchies sans en mesurer l’impact sur les plus vulnérables. Elle n’a pas pris en compte les besoins et les conditions de vie des personnes éloignées des modes de transports collectifs.

Les plus pauvres ont un rôle essentiel dans le combat écologique

En France, l’empreinte écologique des 10 % les plus fortunés est deux fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. En effet, depuis longtemps contraintes à vivre dans la sobriété, les personnes en situation de pauvreté ont un comportement écologique : pas de surconsommation, pas de déplacement en avion, habitudes de récupération, de recyclage, de mise en commun, etc. Ces habitudes de vie donnent aux personnes qui vivent dans la grande pauvreté une véritable expertise et des savoir-faire importants pour que tout le monde puisse agir de manière plus écologique. De plus, ces pratiques coopératives et économes sont autant respectueuses de la planète que des budgets des familles : partage, achats groupés, jardins partagés, etc.

Ces pratiques écologiques des plus pauvres ne sont pas souvent prises en compte puisque leur parole n’est que trop peu écoutée et n’est pas considérée comme porteuse d’initiatives dans la lutte contre les changements environnementaux. Pourtant, leur rôle est essentiel, par exemple pour expliquer et organiser le tri sélectif dans les quartiers populaires, pour permettre l’accès des familles à bas revenus à des produits locaux bon marché ou encore pour soutenir des initiatives de solidarités de voisinage (espaces de recyclage et de gratuité, covoiturage de quartier…). Les personnes en grande précarité inventent des modes de vie et de solidarité beaucoup plus robustes que les standards de notre société actuelle ; leur parole doit être entendue et reconnue.

Ainsi ATD Quart Monde et Terres de Lorraine ont mené une expérimentation pour que tout le monde, et notamment les plus pauvres, ait accès à une alimentation durable et de qualité. Cette expérimentation s’appuie sur plusieurs principes collectifs : l’accès à des jardins partagés qui permet aux personnes les plus pauvres de pouvoir cultiver à plusieurs leurs propres légumes ; des achats collectifs auprès de producteurs regroupant leurs surplus et pouvant les vendre à prix réduit.

Dans l’expérimentation Territoires Zéro Chômeur de longue durée, la très grande majorité des activités portent sur des questions environnementales (permaculture, maraîchages de proximité, recyclage…) et sociales (aide à la personne, transport de proximité…).

Justice environnementale et justice sociale doivent être des objectifs communs. Nous ne pouvons pas agir en profondeur pour la transition écologique sans renforcer en même temps les liens entre tous les citoyens. ■

Marie-Aleth Grard

www.atd-quartmonde.fr

 

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