Migrants : « La politique menée à Calais par Gérard Collomb mène au chaos »

Migrants : « La politique menée à Calais par Gérard Collomb mène au chaos »

Dans une tribune au « Monde », la présidente du Secours catholique, Véronique Fayet, estime qu’à force de nier la réalité à laquelle sont confrontés les migrants à Calais, le ministre de l’intérieur aggrave la situation sur place.

Les violents affrontements de ces derniers jours à Calais sont de la responsabilité des passeurs : c’est un fait et c’est inacceptable ! Mais ils sont aussi la conséquence directe de la politique absurde que mène le ministre de l’intérieur. La situation à Calais est complexe, l’analyse en a cependant été faite depuis des années. Plusieurs diagnostics – notamment celui réalisé en 2016 par Jean Aribaud et Jérôme Vignon à la demande de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur – ont clairement posé quelques données incontournables que toute politique doit prendre en compte si elle veut apporter des solutions réalistes. Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, est malheureusement aveugle et sourd à ce pragmatisme. Lire aussi : Migrants : à Calais, une explosion de violence Premier aveuglement : inspiré par Natacha Bouchart, maire de Calais, M. Collomb vise l’objectif « zéro migrant » à Calais. Autant promettre que demain on rase gratis ! La présence d’exilés à Calais est permanente depuis plus de vingt ans et les faits sont têtus : cela durera aussi longtemps que la France et la Grande-Bretagne effectueront un contrôle des personnes à leur frontière. La présence de migrants à Calais est donc une donnée à prendre en compte, pour y apporter une première réponse pragmatique. Eviter un phénomène de ghettoïsation, en organisant et en offrant un abri temporaire, un accueil a minima pour que les exilés puissent être traités humainement, mis en sécurité, en confiance, et être orientés utilement. La chasse quotidienne qui leur est faite actuellement, l’absence de tout dispositif humanitaire les plongent dans une totale précarité : elle les jette dans les mains des passeurs. Logique absurde et à rebours de tout bon sens ! Vingt ans que cela dure ! Deuxième aveuglement : M. Collomb prétend que Calais n’est plus le lieu de passage pour la Grande-Bretagne. Alors qu’il nous dise : où se trouve ce lieu ? Tout le monde reconnaît qu’une partie de ces exilés ont toutes les raisons de se rendre en Angleterre, où se trouvent leurs proches. Tout le monde demande que soient renégociés les accords du Touquet pour que les Britanniques prennent leur part de l’accueil des réfugiés. Emmanuel Macron, Xavier Bertrand, Natacha Bouchart l’ont promis, mais personne ne le fait ! La récente rencontre entre le président de la République et M me May n’a rien apporté, sinon quelques millions d’euros pour installer encore des barbelés. La France n’aurait donc aucun moyen d’exercer une pression suffisante pour revoir ces accords ? Le diagnostic est clair depuis longtemps : tant qu’il n’y aura aucune voie légale pour atteindre l’Angleterre, les exilés continueront d’utiliser la seule voie possible : venir à Calais, payer les filières mafieuses et traverser la Manche. Une filière est démantelée ? Il s’en reconstitue deux le lendemain. Cela fait vingt ans que cela dure ! Troisième aveuglement : M. Collomb demande aux exilés de se rendre dans les centres d’accueil pour que leur situation soit examinée. Très bien, mais pour aller où ensuite ? Car, dans ces centres, ceux qui veulent se rendre en Grande-Bretagne ne le peuvent pas. Ceux qui voudraient demander l’asile en France ne le peuvent pas non plus ! Ils sont « dublinés » : on leur indique que leurs empreintes digitales ont été prises dans un autre Etat de l’Union Européenne et qu’ils doivent y repartir sans que leur demande soit examinée en France. Le diagnostic est clair, là aussi : tant qu’on n’aura pas remis en cause cet absurde règlement Dublin, tant qu’on n’aura pas suspendu sa mise en œuvre, les exilés n’auront d’autres choix que de revenir à Calais pour utiliser la voie des filières, puisqu’il n’y en a pas d’autres ! Qu’on ne dise pas que cela n’est pas possible : M. Cazeneuve l’a fait lors de l’évacuation de la « jungle » fin 2016 ! Lire aussi : Migrants : la charge de Macron à Calais contre les associations Les exilés sont prêts à prendre tous les risques A ne pas voir ces trois données structurantes du fait migratoire à Calais, à nier cette réalité, à ne proposer pour seule réponse que la voie répressive et policière, M. Collomb emmène tout le monde dans une impasse. Une politique qui n’offre aucune solution aux exilés – ils ne peuvent ni rester à Calais ni se rendre nulle part ailleurs – les contraint à une vulnérabilité et un désespoir tels qu’ils sont prêts à prendre tous les risques, et d’abord celui des filières ainsi renforcées dans leur emprise et leur violence.

Un discours qui critique, voire insulte, les associations humanitaires en les mettant sur le même plan que les filières – la diffamation n’est pas loin – avive encore les tensions en se privant des médiations indispensables. Cette attitude est celle d’un pompier pyromane ! Il est temps que le président de la République et les parlementaires en prennent conscience: la politique menée à Calais par le ministre de l’intérieur mène tout droit au chaos.

Le Monde du 6 février 2018

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