Editions
Presses de la Renaissance
Année de parution
2006
Auteur
Pierre RAPHAËL

L’Appel du Bronx

Préface d’Henri Tincq, responsable des informations religieuses au quotidien Le Monde.

« J’ai fait la connaissance de Pierre Raphaël en 1986, dans la prison de Rikers Island, à New York. Grâce à lui et avec lui, des jours entiers, j’ai pu raser, de l’intérieur, les interminables murs de briques, de béton, de solitude et de méfiance, arpenter les couloirs assourdissants – le bruit ne s’interrompt jamais en prison – entre lesquels étaient enfermés, à l’époque, plus de quinze mille condamnés et détenus dans l’attente d’un jugement. Déjà la plus grande concentration pénitentiaire des Etats-Unis, et elle l’est restée.
Rikers, une sorte d’île-prison du bout du monde, terminus d’une société américaine où convergent toutes les violences, les heurts raciaux, les préjugés sociaux, sexistes, religieux, les petites et très grandes délinquances. Un enfer surtout, s’il n’y avait ces visages d’hommes vivants, parfois souriants que, vingt ans après, il m’est impossible d’oublier. S’il n’y avait ces images-symboles d’une liberté en ce lieu incongru ou d’une espérance fuyante : une mouette qui vient se poser sur un barbelé ; un avion qui décolle de l’aéroport tout proche de La Guardia.
Là, j’ai rencontré Pierre Raphaël. En plus de trente ans de carrière de journaliste, dans des quotidiens comme La Croix, puis Le Monde, il m’a été donné de rencontrer beaucoup d’hommes et de femmes, dans la diversité de leur tempérament et de leur engagement. Je tiens pour la plus grande grâce de mon métier le foisonnement de ces rencontres et de ces visages.
Mais jamais je n’avais trouvé chez un homme autant de contraste entre la simplicité des mots, des idées, la douceur des traits et des gestes, et la démesure des projets. J’ai été lent à comprendre le lien qu’il pouvait y avoir entre, d’un côté, cet homme plutôt timide, natif de l’Aveyron, vieille terre française de foi et de rocaille, ami de la nature et du désert plus que de la ville et de ses multitudes et, de l’autre, une mégalopole comme New York, antre de tous les rêves, les folies et les passions, Babel de toutes les races, les langues et les cultures. Un New York écrasant, exaltant, enivrant.
J’ai cherché ce lien dans un désir de revanche sociale, de découverte ou de conquête. En vain. Pierre n’est ni un aventurier, un homme de coups, encore moins un carriériste briguant les missions impossibles pour mieux se propulser au-devant de la scène. S’il n’avait qu’un défaut à se reprocher, ce serait plutôt celui d’un excès de modestie. Dans ce livre, pour la première fois, il se raconte et le fait au prix d’un effort sur lui-même qui a dû lui coûter. En même temps, le narrateur se trahit. C’est d’un autre que lui-même dont il parle : de Dieu et de l’homme blessé, humilié d’Amérique.
Il est là le lien que je cherchais et que ce livre révèle. Ce qui donne des ailes à ce prêtre au nom d’archange, c’est la foi en Dieu, puisée très tôt dans une famille unie et croyante, dans ses premiers ministères des Pyrénées et du Limousin, dans la double spiritualité de la Mission de France et des Petits Frères de l’Evangile à laquelle il se nourrit. C’est sa révolte intérieure contre tout ce qui abaisse l’homme et qu’il tient d’une méditation permanente de l’Evangile, de l’exemple des prêtres-ouvriers qui a hanté sa jeunesse, d’un Charles de Foucauld, d’une Madeleine Delbrêl, des militants du Catholic Worker et de tant d’autres. Une révolte pour l’homme qui, chez lui, n’est jamais caricaturale, est toujours retenue. Pierre Raphaël ne donne pas de leçons. Son livre est tout sauf un prêche. Même quand l’injustice du système carcéral américain, qu’il raconte ici avec des mots simples, donne envie de hurler. À l’auteur comme au lecteur.
Sans cette foi chevillée au corps – en Dieu et en la dignité de l’homme -, on ne pourrait expliquer cette absence de toute peur quand Pierre débarque le 24 décembre 1970, dans un pays dont il ignore tout, y compris la langue. Quand il doit pénétrer, arpenter les quartiers enfiévrés de la ville-monstre. Quand il doit affronter les autorités de la prison pour y introduire, comme aumônier, à sa mesure, un peu d’humanité. Quand il doit frapper à toutes les portes, faire reculer les résistances pour aller à bout de son projet de maison de réhabilitation de prisonniers, la désormais fameuse Maison d’Abraham dans le South Bronx, une fondation lente et émouvante dont ce livre est le récit. Une « maison » dont il est le pionnier, avec ses amies religieuses. Simone, Amy, Rita, avec ses frères prisonniers ou gardiens, en détention ou libérés, croyants ou en recherche de Dieu. Une réalisation originale dont l’Eglise et la France devraient être fières.
Un livre-témoignage. Un de plus, dira-t-on peut-être avec un soupir. Non, c’est d’une certaine idée de l’homme, de Dieu et de l’Amérique dont il est question ici. Où l’on retrouve aussi toutes les interrogations qui se posent à l’homme, qu’il soit en dedans ou en dehors de la prison, sur la violence, la souffrance et la barbarie. Sur la fraternité, la bonté et le pardon.»

Henri Tincq

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