Editions
L'Atelier, Collection
Année de parution
1999
Auteur
Jean-Marie PLOUX
ISBN
2-7082-3429-3

Le christianisme a-t-il fait son temps ?

Jean-Marie Ploux est né en 1937 en Limousin. Ordonné prêtre à la Mission de France en 1969, il est envoyé en Algérie. Il rentre en France en 1973 comme supérieur du séminaire. En 1982, il est nommé en Égypte. Puis, de 1987 à 1993, il est vicaire général de la Mission de France. Il intervient actuellement dans l’École pour la mission.

D’où t’est venue l’idée de ce livre ?
Jean-Marie : Je me suis trouvé depuis longtemps devant la nécessité de penser ma foi chrétienne dans des univers différents : la France de la campagne limousine au lendemain de la deuxième guerre mondiale, celle de Mai 68, l’Algérie de la décolonisation et de la réislamisation. À Paris ensuite, où des philosophes et anthropologues démolissaient l’idée, déjà bien ébréchée, du sujet moderne. Puis il y eut l’Égypte et la rencontre de ce peuple plusieurs fois millénaire, ancré dans la tradition et confronté à la modernité.
Il m’a semblé que les sociétés passent par des âges de l’humanité qui structurent les cultures et l’histoire et imposent des traits qu’on retrouve sur tous les continents.
J’ai distingué trois âges : la Tradition, la Modernité, la Relativité. Bien sûr ce n’est pas coupé au couteau, ils se recouvrent l’un l’autre et se poussent comme les plaques tectoniques sur la croûte terrestre.
Cette distinction des trois âges s’est précisée dans le cadre de la recherche théologique de la Mission de France où s’exprimait la diversité des lieux où nous sommes envoyés : les banlieues, le monde rural en pleine mutation, la recherche scientifique ou les pays du Tiers Monde. J’ai constaté que cette distinction des trois âges paraissait éclairante à beaucoup de participants à différentes sessions et les aidait à se situer dans leur foi. L’enjeu, pour nous chrétiens, est de relativiser ce dont nous sommes héritiers, c’est-à-dire de situer les discours sur Dieu de la tradition chrétienne comme des moments de l’histoire pour élaborer à notre tour un discours pour ce nouveau moment de l’histoire.

Certains disent que nous sommes entrés dans la post-modernité. Pourquoi avoir choisi le terme de Relativité ?
Jean-Marie : Post-modernité dit qu’il y a un changement, mais ne dit rien sur le contenu de ce changement. Et puis c’est une erreur, car la Modernité ne disparaît pas pour autant, de même que l’ère de la Tradition demeure dans beaucoup de lieux sur la planète. Relativité montre que toutes les réalités de notre monde sont en relation, interconnectées. Ce mot dit aussi que, dans cette refonte de l’humanité, on ne peut avancer que si on renonce à des absolus exclusifs de l’autre et que si, en conséquence, on relativise ses positions.

Mais relativiser la foi, n’est-ce pas la dissoudre ?
Jean-Marie : Il y a le risque du relativisme : rien ne vaut parce que tout se vaut. Relativiser l’expression de la foi, au contraire, c’est prendre le risque de la mettre en relation. Ce n’est pas un doute sur sa foi, c’est une foi en ouverture. C’est accepter de s’exposer.
Dans l’ère de la Relativité, le maître mot est dialogue. Dans le dialogue, j’expose mon identité, je m’ouvre à l’autre et j’attends quelque chose de lui. Je ne cherche pas qu’il me répète ce que je lui dis, ni qu’il me renvoie mon image. L’autre est porteur d’une vérité originale… et pas forcément assimilable. Depuis vingt-cinq ans, je suis en dialogue régulier avec un moine bouddhiste coréen. Nous avons beaucoup confronté nos visions de la résurrection et de la réincarnation. Cet échange m’a rendu plus sensible, dans la perspective chrétienne, à l’unicité de la personne, à la singularité de son histoire. En même temps, la perspective bouddhiste de la réincarnation, avec son détachement et son intégration de l’homme dans la nature, m’amène à prendre du recul par rapport à l’urgence de l’histoire. Je suis moins enclin à fantasmer sur le sens de l’histoire.
Ce dialogue nous oblige à réévaluer la part de vérité qui a été confiée à l’Église et à l’actualiser, à refaire l’inventaire de notre foi de telle sorte qu’elle soit consonnance à la situation nouvelle, comme nos ancêtres l’ont fait quand ils sont passés de l’ère de la Tradition à celle de la Modernité.

Mais c’est prendre des risques…
Jean-Marie : Cela demande une confiance, fondée sur un chemin fait ensemble. La confiance est, à mon sens, la clé de tout. Clé du dialogue avec l’autre homme, d’un chemin possible avec Dieu, d’une remise de nos vies à Dieu. C’est de l’intérieur de cette attitude qu’on en saisit la fécondité. Et on n’est jamais sûr par avance du résultat. Ce n’est même pas une question de résultat. J’étais récemment dans un hôpital psychiatrique. Dans ces lieux d’humanité, la confiance va au-delà des apparences, il n’y a pas de résultat. Pourtant on continue. La confiance, c’est sans fin. Je crois que je mourrai avec cette attitude fondamentale. J’y retrouve celle du Christ, qui traverse les ères de l’humanité.

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