« La course à la performance est devenue un cycle infernal pour les agriculteurs », Père Arnaud Favart – La Croix

« La course à la performance est devenue un cycle infernal pour les agriculteurs », Père Arnaud Favart – La Croix

À la veille du Salon de l’agriculture, le père Arnaud Favart, délégué de la Mission rurale et prêtre de la Mission de France revient sur le « cycle infernal » dans lequel les agriculteurs sont embarqués, sommés de produire plus pour nourrir la France mais en étant toujours moins bien rémunérés pour leur travail.

« Plus vite, plus haut, plus fort. » Faut-il s’étonner que la devise olympique soit devenue le paradigme de la société industrielle ? Faire davantage, produire de gros volumes, intensifier l’élevage, être performant grâce au machinisme et à la spécialisation, et surtout moins de bras. La mécanisation devait délivrer les paysans de la pénibilité physique et de tâches ingrates, la chimie décupler les rendements, l’agro-industrie assurer la sécurité alimentaire et nourrir abondamment des villes toujours plus grandes. La course à la performance est devenue un cycle infernal pour les agriculteurs qui se sentent dénigrés malgré leurs efforts. Une évolution qui se traduit inévitablement en consommation plus grande d’énergies, fossiles en particulier. Le tout pour des revenus faibles et un endettement croissant.

Une population isolée

Fortement réduite, la population agricole s’est retrouvée isolée, perdant la maîtrise de ses outils et de ses décisions. La structure familiale traditionnelle qui portait l’exploitation n’a plus la capacité de porter un tel modèle. Des contraintes bancaires, administratives, techniques ont remplacé les anciennes servitudes. Prise en étau entre les attentes des consommateurs, l’endettement bancaire, les prix imposés par les industries agroalimentaires liées au marché mondialisé et les prises de conscience environnementales, elle doit faire face à de nombreuses injonctions contradictoires. Le primat du libre-échange et de la concurrence expose les filières agricoles européennes aux produits importés à faible coût et à l’impact environnemental élevé. Le commerce mondial fait l’objet de négociations gagnant-perdant. Ainsi le secteur aérien se voit exonéré de taxe pétrolière, ce dont nul ne s’étonne.

Les subventions sont censées combler le déficit d’un revenu indigne. Remplir un dossier PAC est un parcours du combattant numérique qui demande du temps et des compétences pour généralement récompenser la performance et la compétitivité. Les discours politique et médiatique, complètement hors sol, ne cessent de louer cette excellence, ignorant la nature du vivant, les équilibres des écosystèmes. La détresse économique des agriculteurs ne vient pas des normes environnementales. Quand les sols sont assimilés à des supports de culture, la fertilité s’amenuise et la biodiversité s’effondre. Chaque année, on continue d’arracher des milliers de kilomètres de haies alors qu’on sait très bien le rôle essentiel qu’elles jouent pour l’infiltration de l’eau, la lutte contre la sécheresse et l’érosion des sols.

Complexité du vivant

Les priorités politiques vont clairement aux métropoles, où se projettent les rêves d’un monde urbain déconnecté. Les modes de vie urbains sont déconnectés des contraintes du sol, de la sueur et des saisons. Il en résulte une méconnaissance de la relation terre-alimentation-travail, une artificialisation des sols accrue, un affranchissement des distances géographiques (en grandes surfaces, on trouve de tout, partout), une libération de la pénibilité physique (probablement remplacée par le stress économique) et une déconnexion du temps (météorologique comme celui de la durée).

La vision du progrès est trop souvent associée àune rationalité industrielle capable de produire à bas coût par la standardisation et aveugle à toute perception du vivant comme écosystème. Tout est lié, n’est-ce pas ? Cette économie est avide de circulation des marchandises, car ce qui circule génère du profit. En conséquence, les moyens technologiques et les processus de sélection dépossèdent les paysans de toute maîtrise de la terre, des semences et des animaux. Qu’y a-t-il de commun entre la Champagne crayeuse, les vergers de la Drôme, le maraîchage provençal, la polyculture de montagne, les vignobles du Sud-Ouest, l’élevage intensif breton ou extensif du Cantal ? La complexité du vivant rend inopérante toute approche centralisatrice.

Pour assurer la souveraineté alimentaire, les uns prônent ce modèle productiviste afin de résister à la compétition mondiale. Les autres plaident en faveur d’une agriculture moins démesurée et d’une alimentation locale, paysanne et biologique. Qui l’emportera ?

mdfadmin

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