Protéger les enfants

Protéger les enfants

Marie Derain de Vaucresson est directrice de service de la Protection judiciaire de la jeunesse au Ministère de la Justice. Elle a été Défenseure des enfants , adjointe du Défenseur des droits de 2011 à 2014. Elle était secrétaire Générale du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) jusqu’en décembre 2019. Depuis avril 2016, elle est membre de « la commission nationale indépendante d’expertise  » crée par la conférence des évêques de France. Cette instance a pour mission de conseiller les évêques dans l’évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles en matières de violences sexuelles faites à enfants (- 18 ans).

Protéger les enfants[1]

 

S’interroger sur la capacité d’une société, et de chacun de ses membres, à protéger les enfants, c’est mesurer la considération que l’on a pour eux.

Or le rapport à l’enfant s’est construit à partir de l’absence de considération comme sujet et comme détenteur de droits. L’enfant était alors pris en compte pour l‘avenir, comme futur adulte, comme future force de travail voire comme futur citoyen. C’est à ce titre qu’il convenait de le protéger.

L’éducation, une affaire strictement privée.

L’enfant n’avait pas de présent et n’avait pas voix au chapitre.  D’ailleurs l’enfant – infans – est celui qui ne parle pas.

Parallèlement la place et le rôle de la famille organisée par le droit Romain, créait une protection naturelle. Longtemps cette protection a empêché de s’intéresser à ce qui pouvait se passer à l’intérieur des familles, et la manière dont celles-ci protégeait les enfants des dangers extérieurs ou des conséquences de maltraitances vécues ailleurs.

Encore aujourd’hui l’éducation est pour beaucoup une affaire strictement privée, qui regarde les parents uniquement.  Les récents débats sur l’éducation sans violence dans la cadre de la loi votée en juillet 2019[2], alors qu’elle ne visait qu’à poser le principe de l’exercice de l’autorité parentale sans violence, en est la preuve

Pour comprendre la difficulté, encore aujourd’hui, à protéger les enfants, à les entendre, à les écouter, un détour par la manière de penser la protection des enfants et la prise en compte de leur parole est nécessaire.

Penser la protection des enfants

Ainsi, longtemps l’enfant était sans droit, sans protection et exposé possiblement à tout danger. Dans la même dynamique, on a longtemps considéré qu’il ne souffrait pas[3], qu’il n’avait pas de mémoire et que ce qui pouvait lui arriver dans l’enfance était sans conséquence. Aujourd’hui encore certains avancent cet argument en matière de violences sexuelles pour amoindrir leur responsabilité : « je ne savais pas que l’enfant souffrait, qu’il se souviendrait »[4]. C’est méconnaitre les travaux sur les conséquences des maltraitances[5], confirmé aujourd’hui notamment grâce à l’imagerie médicale et l’approche des psycho-traumas et de la mémoire traumatique[6].

Protéger les enfants n’a pas consisté d’abord à leur reconnaitre des droits spécifiques. C’est ainsi que la question de sa parole, de son écoute, était secondaire.

La protection des enfants en France trouve son origine dans le recueil des enfants trouvés et des orphelins. Saint Vincent-de-Paul crée en 1638 « l’œuvre des enfants trouvés ». Elle est restée une question de charité, d’engagement privé pendant des siècles, sans envisager de dimension réellement juridique. On parle ici de protéger les enfants visiblement en danger, dans la rue, mais pas dans leur famille ou dans des institutions.

C’est en 1958[7], qu’une ordonnance, modifiée en 1970, est venue organiser l’édifice juridique et social qui a organisé  la protection judiciaire de l’enfant. Elle permet l’intervention du juge quand « la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises ». Pour autant la protection des enfants ne va pas de pair avec la reconnaissance de droits spécifiques pour les enfants.

Dans son ouvrage Penser les droits de l’enfant, Dominique Youf[8] souligne que cette protection s’est construite en étant « éloignée d’une philosophie des droits de l’enfant, et plus proche de l’idée d’un Etat sanitaire et social ». L’enfant n’est pas sujet de droits, l’intervention de la puissance publique pour le protéger ne se justifie que par la nécessité que l’enfant devienne un bon citoyen, c’est-à-dire qu’il s’agit d’éviter les comportements asociaux.

Dans une société marquée par une approche familialiste, encore au XXe siècle, la politique de protection des enfants est tournée essentiellement vers les parents et vise, au fond, à les « ménager » en proposant de les soutenir dans leur mission, avant tout. C’est reconnaître que la puissance publique doit être prudente dans son intervention dans ce domaine.

L’analogie avec les institutions n’est pas loin. L’institution comme la famille a raison : le plus fort, l’adulte/l’institution, aura toujours des droits sur l’enfant. C’est ce qui inconsciemment autorise pour certains des comportements inappropriés de toute nature, mais aussi des négligences, ce qui autorise à ne pas considérer les enfants au bon niveau, à ne pas voir leur malaise, à ne pas les entendre, et encore moins à les écouter.

La Convention des droits de l’enfant

La Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, a consacré la notion cardinale des besoins de l’enfant pour lui reconnaitre des droits et le protéger. Sa méconnaissance, encore aujourd’hui, rend insensible bon nombre d’adultes à la condition des enfants. Elle est née de l’intérêt que médecins puis psychologues puis pédagogues ont développé et théorisé tout au long du XXème siècle. Elle s’est construite avec la connaissance des enfants et de leurs besoins , notamment les stades de leur développement dans toutes les dimensions de leur personne et de leur personnalité. Il s’agit de garantir que chaque enfant grandira et pourra développer ses potentialités dans les conditions les meilleures. C’est aussi ce qu’impose la convention des droits de l’enfant, dans cette double dynamique de protection et de participation et avec le maitre mot « le meilleur intérêt de l’enfant », toujours à rechercher.

L’article 12 de la convention des droits de l’enfant précise que l’enfant a le droit, dans toute question ou procédure le concernant, d’exprimer librement son opinion. C’est un encouragement à permettre et même favoriser son expression. Dit autrement, l’enfant qui s’exprime, qui parle, se protège et protège les autres, tout comme un enfant qui connait ses droits est en capacité de les faire respecter pour lui et pour les autres. Il appartient donc à chacune des personnes de rechercher le meilleur intérêt de l’enfant à la fois pour l’écouter, recueillir sa parole et la prendre en considération. Autoriser l’enfant à parler, l’encourager à libérer sa parole, c’est reconnaitre et faire vivre ce droit et répondre directement à l’intérêt supérieur de l’enfant, grand principe édicté par l’article 3 de la Convention, qui doit être « une considération primordiale ».

« L’enfant et sa parole » a connu de nombreux effets de balancier. L’enfant n’a pas ou peu été écouté jusque dans les années 70, en particulier quand il était victime. Puis cette parole a été très sollicitée les deux décennies suivantes pour être ensuite déconsidérée sous l’influence de nombreux faits divers au cours des années 2000[9]. Il est temps de trouver un nouvel équilibre pour encourager cette expression, y être attentif quel que soit le mode d’expression des malaises.

L’enfant doit savoir que sa parole sera considérée, qu’il est entouré d’adultes bienveillants. La Convention des droits de l’enfant nous engage tous à mieux contribuer à protéger les enfants. C’est une obligation juridique autant que morale, j’ajouterai spirituelle pour l’église. Alors ne soyons pas en défaut.  Il aura fallu presque 30 ans pour y parvenir en droit, même si beaucoup reste à faire pour son déploiement : des intentions passons aux actes, n’attendons plus pour que les enfants soient réellement entendus et protégés.

Marie Derain de Vaucresson

 

[1] L’enfant est ici entendu comme celui de la Convention des droits de l’enfant : en France il est âgé de 0 à 17 ans et 364 jours. Je n’utilise pas « mineur » pour ne pas réduire l’enfant à une catégorie juridique.

[2] Loi votée le 2 juillet 2019, publiée le 10 juillet 2019 : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. ».

[3] Le premier plan anti douleurs spécifique pour les enfants date de 2002, même si des travaux et expériences étaient conduits depuis les années 80, ce qui était déjà tardif comparé aux adultes. De nombreux soins étaient effectués sans anesthésiant par exemple.

[4] Arguments plusieurs fois entendus de la part de prêtres auteurs de violences sexuelles reconnues à l’égard d’enfants.

[5] A l’instar du Dr Strauss en France dans les années 80

[6] nous pouvons citer les travaux notamment de la  Dre Muriel Salmona : https://www.memoiretraumatique.org/violences/violences-faites-aux-enfants.html?PHPSESSID=6v9t9bbuopafi4tvuccvtsl4o6

[7] Ordonnance du 23 décembre 1958

[8]  Penser les droits de l’enfant, Dominique Youf  – PUF, janvier 2002. Qu’il lui soit ici rendu hommage.

[9] La plus célèbre est l’affaire d’Outreau. A ce propos voir notamment : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_ra_e_2013.pdf et   http://www.justice.gouv.fr/publications-10047/rapports-thematiques-10049/traitement-judiciaire-de-laffaire-doutreau-11937.html

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