Quelques nouvelles de Casablanca

Quelques nouvelles de Casablanca

Noël 2020, Casablanca Maroc

 

Amies, amis,

 

Honneur aux marins : ils ont tenu. Nous le savons : la pandémie qui nous limite et nous confine a grippé de très nombreux rouages de l’économie mondiale. Cependant les marins, eux qui assurent 90 % du transport du commerce mondial, ont continué à travailler, vaille que vaille et coûte que coûte, permettant ainsi à l’économie mondiale de survivre. Bien sûr, ils ne s’y connaissent que trop, en confinement, puisque c’est leur lot habituel, des mois et des mois chaque année. Les marins, ces aguerris du confinement… Poussé-je trop loin le bouchon en suggérant que plus de trois milliards de femmes et d’hommes dans le monde, confinés pendant quelques mois, ont soudain goûté, bien involontairement, à la vie confinée des marins ? Sauf que… sauf que, quand nous étions confinés à domicile, chez nous, les marins, eux, sont confinés, enfermés, bloqués des mois et des mois sur leur lieux de travail, sur leurs bateaux. Au plus fort de la crise, on estime que 400 000 d’entre eux de par le monde, arrivés en fin de contrat, ne pouvaient pas repartir chez eux : frontières fermées, aéroports itou, ils ont été condamnés au travail, bien au-delà de la fin de leur contrat, sans pouvoir quitter leurs navires.

J’ai fait la connaissance de Louwell en novembre 2018 – une époque d’insouciance – quand son navire a fait plusieurs escales à Casablanca. Puis, en mars de cette année, embarqué sur un autre navire de la même compagnie, il est passé à Algésiras, le côté espagnol du détroit de Gibraltar, au début du grand confinement mondial. Nous nous sommes salués, par internet interposé. Puis, en mai, il a commencé à m’envoyer des messages angoissés : son contrat avait pris fin en avril, il me demandait s’il avait une chance de pouvoir repartir aux Philippines depuis le Maroc, sa prochaine escale. Rien ; aucune chance, lui ai-je dû lui répondre. Je n’ai rien pu faire d’autre pour lui que de lui envoyer quelques recharges internet. Son bateau est reparti en Algérie, puis en Suède, Louwell toujours à bord. Puis le Maroc de nouveau : « Father, help me ! We are so tired » ; mais, non, je ne pouvais rien pour lui, enfin presque rien, juste lui donner quelques conseils, quelques adresses où tenter de faire valoir ses droits. Mais que sont les droits des marins isolés au milieu de l’océan par temps de pandémie ? Le bateau est reparti, avec Louwell toujours à bord, pour le Mozambique, cette fois-ci, 23 jours de mer et un demi-tour de l’Afrique, et une semaine t’attente sur rade, et une semaine de déchargement, sans frontières ouvertes ni aéroports opérationnels, et Louwell toujours à bord, de plus en plus dépité, est reparti vers un troisième continent, l’Amérique du Sud, pour une escale en Argentine, en septembre. C’est fou ce que les marins de bonne volonté sont démunis en cas de difficulté. Il faut dire, qu’isolés sur un bateau, bringuebalés d’un continent à l’autre, à des milliers de kilomètres de l’armateur, il n’est pas facile pour eux de vérifier la bonne volonté du dit armateur, ou faire pression pour obtenir leurs droits.

Donc escale en Argentine, en septembre ; et rien de nouveau, si ce n’est une lueur d’espoir pour la relève d’équipage depuis l’Uruguay voisin… Mais le suspense a encore duré, quand les marins philippins prévus pour la relève n’arrivaient pas à avoir leurs tests covid… Enfin, en octobre, Louwell et ses compagnons ont pu quitter leur navire et partir faire la bise à Madame, depuis l’Uruguay, avec six mois de travail supplémentaire sur un contrat de neuf mois et trois continents au compteur.

Vous avez goûté au télétravail confiné ? Les marins, eux, n’ont guère apprécié le télé-repos et les télé-vacances réduits à l’internet pendant une année et demie. Si beaucoup de marins ont pu maintenant repartir chez eux, la question n’est pas encore résolue pour tous, tant que les transports internationaux restent problématiques.

Pour leur rendre une courte visite « de visu », vous pouvez jeter un œil à ce beau reportage >>>

Et moi, voilà neuf mois que je suis confiné, interdit d’accès au port de Casablanca, pour des raisons sanitaires évidentes. Jusqu’en septembre ou octobre, j’ai pu moi aussi organiser une sorte de télétravail en fournissant plusieurs milliers de recharges internet aux marins amis, qui étaient là, au port de Casablanca, à quelques encablures de l’église où j’habite, mais sans aucune possibilité pour les rejoindre. Et puis mon télétravail a diminué : comme Louwell, les marins connus ont pu enfin repartir chez eux. Je ne sais pas quand je pourrai retrouver le chemin du port (probablement quand le covid ne sera plus qu’un mauvais souvenir…). Ce que je sais en revanche, c’est que ce jour-là, je serai inconnu des marins en escale, et qu’il me faudra refaire le long chemin de connaissance capitalisé pendant des années, même si l’étiquette des foyers des marins « Stella Maris » que j’arbore sera toujours reconnue. Un jour, si Dieu le veut…

Le Maroc a été frappé par la pandémie, moins que l’Europe, mais bien plus que l’Afrique sub-saharienne. Nous attendons avec impatience la campagne de vaccination, prévue pour la fin du mois. Nous attendons ? Certains seulement, mais pas tous. J’ai eu l’occasion de parler avec beaucoup de paroissiens de Casablanca : que pensent-elles, que pensent-ils du covid, et de la pandémie ? J’ai pu constater, de mes propres oreilles, ce que nous pouvons lire dans de nombreux journaux : notre monde très largement connecté est un monde de méfiance et de défiance généralisées. Je résume peut-être trop la tonalité dominante de ces rencontres qui pourrait être schématisée ainsi : les médias ? Elles nous mentent (Recherchons les médias alternatifs). Les scientifiques ? Ils nous cachent la vérité sur le virus et la pandémie. Les politiques ? Voilà une belle occasion pour eux de nous contrôler, de restreindre nos libertés, voire de nous brimer. Les financiers (particulièrement les firmes pharmaceutiques) ? Ils cherchent à s’enrichir à nos dépends en nous fourguant médicaments et vaccins ruineux, quand tant de médecines simples et douces seraient si efficaces. J’insiste : ces opinions sont dominantes.

Alors, au moment où les dirigeants du monde ont presque tous choisi de privilégier la santé des anciens plutôt que l’économie, je m’interroge : quand la défiance prend le dessus, la foi vacille, même si l’institution dont je suis prêtre a échappé au feu roulant des critiques et défiances reçues ; un simple égard pour ce que je représente ? Je ne sais pas bien le dire, mais je crois que la pandémie révèle une maladie sociale bien plus grave et profonde que le coronavirus : confiance, où es-tu ? Et sans la confiance, quel vivre ensemble sera-t-il possible ? Se pourrait-il que nous nous dirigions vers une humanité vacillante et boiteuse, une société de la suspicion mondialisée ? Je ne sais. Et bien sûr, je ne l’espère pas. Je fais ce que je peux – et c’est peu, au risque d’être taxé de naïf – pour promouvoir confiance et responsabilité, par exemple en demandant à mes sœurs et à mes frères de vérifier leurs sources d’information et de les citer. Je vous le promets, en ne faisant rien que cela, j’agace ! Je ne suis pas encore au bout de mes peines… Pourtant, être des femmes et des hommes de confiance, voilà un bel enjeu pour les années à venir.

Notre paroisse de Casablanca a reçu du renfort, et quatre prêtres actifs sont là pour la prendre solidement en charge. Je ne me compte pas dedans, puisque j’espère toujours reprendre mon ministère auprès des marins, demain, un jour.

     

Arnaud de Boissieu, prêtre de la Mission de France

 

 

 

 

 

 

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2 commentaires

  • GUILMEAU jean francois 4 octobre 2021 à 9 h 48 min

    bonjour, venant de prendre une année sabbatique, je souhaiterais rejoindre l église de France à Casablanca pour aider dans des missions d éducation notamment, est ce possible??? dans l attente de votre réponse, cordialement

  • Bonjour
    Vous venez d’adresser une demande sur le site de la Mission de France pour une mission à Casablanca. Pour ce qui concerne l’Eglise présente au Maroc, vous devez vous adresser directement au diocèse de Rabat : http://www.dioceserabat.org
    Cordialement
    Anne Soncarrieu (Déléguée Générale Mission de France)

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